

Biographie

Un acteur belge aux yeux de rêve
Le 25 juin 1937, sous le signe tendre et sensible du Cancer, un enfant voit le jour à Berchem, un quartier paisible d’Anvers, en Flandre belge. On le prénomme Jacques. Son prénom, classique et intemporel, résonne comme une promesse. Son nom de famille, Vloeberghs, porte les sonorités de ses racines flamandes, qu’il a probablement choisi d’adoucir pour la scène en adoptant le pseudonyme plus sobre et français de Jacques Maury. Mais c’est justement cette origine riche et multiculturelle qui fait de lui un être unique, un acteur singulier qu’on n’oublie pas.
Formé au Conservatoire national supérieur d’art dramatique de Paris (promotion 1963), Jacques est rapidement engagé comme pensionnaire de la prestigieuse Comédie-Française. Il y restera sept années (entre 1963 et 1970), prêtant son regard doux et sa voix apaisante à de nombreux rôles, tant classiques que contemporains. Le théâtre fut sa première maison, celle où il apprit à habiter les mots, à écouter le silence, à incarner des vérités humaines au plus près.
Jacques apparaît également dans les films de grands réalisateurs français tels que Jacques Demy, Gérard Oury ou Roman Polanski, mais aussi étrangers, comme Woody Allen ou Billy Wilder. Bien que cantonné à des rôles secondaires, voire à la figuration, il y laisse à chaque fois une empreinte délicate, reconnaissable à sa discrétion, son élégance, et sa présence subtile mais marquante.
Polyglotte et naturellement curieux, il porte sa multiculturalité jusque dans son art : dans Point de mire, il s’exprime en flamand ; dans Michel Strogoff, en italien ; et dans Fedora ou Mille milliards de dollars, il parle un anglais teinté d’une fine intonation britannique. Le français, bien sûr, restait sa langue maternelle — qu’il maîtrisait avec une clarté et une musicalité remarquables.
Une âme mélancolique
La mélancolie, la sensibilité, la profondeur et l'introversion du Cancer étaient inscrites dans les yeux de Jacques. Lorsqu'on les regarde, ils sont rêveurs, bruns comme le chocolat belge, et toujours à moitié endormis, comme s'ils rêvaient encore des personnages qu'il incarnait. Ses yeux semblaient être une porte d'entrée vers son monde intérieur profond. Ses sourcils délicats accentuaient encore cette rêverie. Ses cheveux foncés, parfois légèrement indisciplinés, devenaient avec l'âge un peu plus clairsemés, mais toujours parsemés de fils d'argent.
Jacques avait un nez aristocratique remarquablement formé, une peau pâle, pâle comme un souvenir. Et bien que son sourire convenait aux rôles d'avocats sournois, de procureurs et d'inspecteurs, je vois en lui bien plus : c'est un sourire mélancolique d'un homme portant une immense profondeur, semblable à l'eau. Même s'il tentait de jouer tous les fonctionnaires malveillants du monde, ce sourire révélait de la sincérité, une carte de son âme – même s'il montrait rarement ses dents – et une certaine forme de tendresse et de douceur. Une telle tendresse que seul celui qui sait regarder au-delà du personnage théâtral ou cinématographique peut percevoir.
Une fin prématurée
En mars 1985, Jacques se trouve à Mahé, aux Seychelles, pour le tournage du film Pirates de Roman Polanski. C’est là qu’il est frappé par un accident hémorragie cérébral. Malgré les soins, il ne pourra être réanimé. Il s’éteint le 20 mars 1985 à l’hôpital, à l’âge de 47 ans. Une messe funèbre est célébrée à Sousse, en Tunisie, par toute l’équipe du film. Elle se tient en plusieurs langues — un adieu symbolique pour un homme aux horizons ouverts, capable de traverser les cultures sans jamais se perdre.
Tout comme Molière, mort sur scène, Jacques meurt en exerçant son art, au cœur d’un tournage, au cœur de sa passion. Une mort tragique, certes, mais aussi hautement symbolique : celle d’un artiste qui a donné sa vie au théâtre, au cinéma, à la création. Un homme dont le dernier souffle s’est mêlé à l’air des projecteurs.
Son dernier film, Lévy et Goliath, est tourné en 1986 et sortira en 1987, deux ans après sa disparition. Il n’aura jamais vu sa propre silhouette glisser une dernière fois à l’écran.
De sa vie personnelle, presque rien n’a filtré. Pas de confidences dans les journaux, pas de scandales. Juste une présence douce, discrète, inoubliable. Derrière chaque rôle, c’est toujours Jacques qu’on devine — un homme intérieur, profond, mystérieux, et infiniment humain.
