Almanzor : la poésie de l'innocence
- Danielle
- 5 juin
- 3 min de lecture
Jacques avait trente-deux ans lorsqu'il interpréta le rôle du valet Almanzor dans Les Précieuses ridicules (1969). Chaque fois que je visionne cet enregistrement et que je le vois dans ce rôle typiquement moliéresque, une chanson me vient à l'esprit : "Pretty Little Baby" de Connie Francis, sortie en 1962. Si vous le pouvez, écoutez-la en lisant cet article, car l'Almanzor de Jacques est un véritable pretty little baby qu'on ne peut qu'aimer !

Almanzor, c’est le type parfait du personnage ridicule mais touchant. Il tombe, trébuche, oublie ce qu’il fait, rêve tellement qu’il n’entend même plus ce qu’on lui dit… Et quand il parle enfin, c’est avec une voix pleine d’émerveillement enfantin et de jolis petits non-sens. C’est un serviteur avec une âme de poète. Et quand on le regarde avec son expression de doux ahuri, on a juste envie de le prendre dans ses bras. Pour toujours.
C’est peut-être un bouffon, mais il dégage aussi une forme de tendresse, de loyauté, de sincérité. Il est prêt à faire tout ce que ces deux précieuses lui demandent, même des absurdités comme leur apporter "les commodités de la conversation", autrement dit… des chaises.
Jacques met dans ce personnage tellement d’émotion – ça se sent dans son énergie, dans son aura. Almanzor ne sait pas tricher, il ne sait pas être froid. Il est tellement authentique que ça fait presque mal, mais une douleur douce, comme un pincement au cœur qui réchauffe aussi. Il est parfois maladroit, parfois gêné, et dans ses grands yeux ronds, un peu perdus, on voit tout. Les yeux sont les fenêtres de l’âme, et Jacques en a ouvert une toute petite sur la sienne pour nous la prêter un instant à travers Almanzor.

Pour moi, Almanzor a tout d’un INFP : un introverti rêveur avec un monde intérieur hyper riche, plein de sensibilité, d’empathie, de fantaisie... un peu paumé, un peu distrait, mais terriblement humain. Jacques a bien sûr accentué ça pour la comédie – c’est du Molière, après tout –, mais je crois sincèrement qu’il n’a pas eu à forcer grand-chose. Je suis persuadée qu’il avait lui-même cette douceur en lui. Peut-être était-il même INFP ou INFJ lui aussi ? Mais ça, c’est une autre histoire...
Ce que je ressens surtout, c’est qu’Almanzor est profondément doux et un peu soumis. Il ne croit pas beaucoup en lui, ne se voit pas comme quelqu’un d’important. Mais c’est exactement ce genre de personne qui attend, sans le dire, un amour vrai. Parce que quand quelqu’un finit par l’aimer tel qu’il est – avec ses bizarreries, ses maladresses, sa confusion – c’est le plus beau cadeau qu’on puisse lui faire. Et le plus grand espoir qu’il puisse recevoir.
Est-ce que Molière avait prévu tout ça en écrivant Almanzor ? Peut-être pas. Peut-être que pour lui, ce n’était qu’un rôle de second plan, un ressort comique. Et c’est clair qu’il n’avait pas Jacques à ses côtés. Parce que Jacques, lui, a transformé ce personnage en quelque chose de magique. Je ne pouvais tout simplement pas le laisser passer comme un simple gag. Ce qu’il en a fait était trop précieux (pas ridicule ! :-D) Et en moi, l’âme d’Almanzor a résonné. Fort. Très fort.
Almanzor est le symbole de l'authenticité, une boule d'émotions adorable qui mérite l'amour du public, ne serait-ce que parce que personne d'autre ne l'a aimé suffisamment. Les deux précieuses ne l'auraient jamais remarqué s'il n'avait pas été de noble naissance, et c'est pourquoi il incarne un contraste saisissant d'authenticité dans un monde de faux-semblants.
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